Jean-Michel BAYLET: Allocution au Congrès du Parti Socialiste

Date 18/5/2003 9:18:38
Sujet : PRG


Mesdames et Messieurs, chers amis socialistes, laissez- moi vous dire tout d'abord que je mesure à son prix l'honneur et le privilège de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous, devant le congrès du Parti socialiste, devant le parti de François Mitterrand. Je voudrais m'inspirer précisément de l'enseignement qu'il nous avait confié pour vous dire, avec l'humilité qui convient à un initié, mais avec la franchise qui doit être celle d'un ami, ce que nous attendions et ce que nous attendons de votre congrès.

Un an après les terribles déconvenues que nous avons connues, votre rencontre est la dernière de celle que tous les partis de gauche ont consacré à l'analyse et au bilan de cette séquence politique terrible qui n'en finit pas de s'achever.

Je me réjouis moi aussi de voir enfin ce cycle se refermer. Je m'en réjouis notamment parce que depuis plus d'un an nous avons entendu instruire le procès de tous ceux qui, à gauche, en décidant simplement de concourir à l'élection présidentielle, comme la loi le leur permettait, et surtout comme la pratique des institutions leur en faisait l'obligation, étaient accusés d'avoir fait perdre le candidat du Parti socialiste. Notez au passage qu'aucun d'entre nous, radicaux, écologistes ou communistes, n'a accusé le Parti socialiste de nous avoir fait perdre tous ensemble.

Rappelez-vous aussi, et François Hollande s'en souvient bien, que les radicaux n'ont cessé d'en appeler pendant plus d'une année à une initiative de rassemblement venu du Premier ministre ou du Parti socialiste et qui nous aurait évité les drames d'une compétition où l'émulation avait fait place à la surenchère et à la critique systématique des partenaires et de l'action de l'ancienne gauche plurielle.

Accordez enfin aux radicaux qu'ils ont fait leur campagne entièrement contre la droite et sans jamais la moindre attaque contre le gouvernement ni contre les formations de l'ancienne majorité. Il nous faudra donc chercher ailleurs que dans les boucs émissaires les raisons de notre échec commun, je parle bien sûr des raisons de fond et non de pauvres motifs circonstanciels attachés à un propos de campagne, à un discours ou à un style.

D'où vient que le peuple de gauche n'était pas au rendez-vous que nous lui avions fixé ? Ma question porte en elle sa réponse : peut-être que ce peuple-là, celui des citoyens les plus démunis, des travailleurs ballottés, des retraités inquiets, des fonctionnaires méprisés, des entrepreneurs menacés, des jeunes désabusés, que ce peuple-là n'a pas trouvé son compte dans notre bilan, ni placé ses espérances dans nos projets.

Sans entrer dans des querelles qui nous ont d'ailleurs largement divisés ces temps derniers, je veux vous proposer une évidence soulignée par les élections de 2002 : la gauche ne gagne rien à montrer au pays qu'elle est capable d'être aussi à droite que la droite. Et je ne durcis pas le trait.

Dans les alliances que les institutions nous ont dictées, les radicaux remplissent depuis des décennies avec loyauté la fonction que l'équilibre de la gauche imposait, ils gardent la frontière qui nous sépare de la droite.

Sans ambiguïté, nous avons modéré en son temps les tentations collectivistes aujourd'hui oubliées du programme commun. Nous avons rappelé les premiers gouvernements de la gauche au réalisme économique et aux problématiques sociales, telle était notre fonction assumée. Et c'est pourquoi nous avons été proprement médusés de voir dans la période récente le Parti socialiste nous passer devant tout affairé qu'il était à la recherche politique d'un centre inconnu et à la quête sociologique d'une vaste classe moyenne introuvable.

Est-ce à nous de rappeler que, dans un pays de plus en plus riche, qui compte de plus en plus de pauvres, et qui doit donc avoir un problème assez classique de répartition des revenus, la priorité de la gauche n'est probablement pas de prôner la baisse des revenus, la priorité de la gauche n'est probablement pas de prôner la baisse des prélèvements publics que tous les Français comprennent comme la baisse de la fiscalité sur les plus hauts revenus ?

Faut-il vous rappeler aussi qu'ensemble nous avions dénoncé les privatisations de Chirac, Balladur et Juppé pour ensuite donner à ce mouvement une ampleur qui allait atteindre même les services publics ?

Faut-il souligner encore que le principe de la laïcité des institutions publiques et de l'école, que nous avons si souvent défendu ensemble comme le cœur même de la République, est aujourd'hui ébréché par les concessions faites aux écoles privées, au communautarisme et à la volonté de l'État d'organiser les religions ?

Et cette Europe gouvernée un temps, souvenez-vous, par douze partis socialistes, cette Europe que nous avions rêvée riche de grands services publics européens, faute d'une nouvelle fiscalité de répartition, avant-gardiste pour le projet social, cette Europe de rêve, nous l'avons découverte attachée à la déréglementation, aux privatisations, au règne sans partage de la concurrence ouverte à tous les vents mauvais du pseudo libéralisme et de la délocalisation qui tuent l'emploi.

Mes amis, je vous le dis, ce n'est pas l'espérance qui nous a quittés, c'est nous qui l'avons abandonnée. Et je vous demande de voir comme un signe les votes qui se sont portés sur une extrême gauche toujours aussi irresponsable et objectivement alliée à la droite. Aucun Français ne pense que les programmes gauchistes ont gagné en crédibilité mais beaucoup de nos électeurs sont venus nous rappeler que dans un projet de gauche il faut toujours faire la part du rêve.

Voilà, mes amis, ce bilan que nous devions faire ensemble honnêtement et avec franchise. Mais les radicaux ont voulu faire plus, je vous ai adressé une motion politique qui avait pour ambition de poser à votre congrès des questions précises que j'ai d'ailleurs également adressées à nos amis communistes et écologistes. La question posée est simple : que voulons-nous faire ensemble pour redonner espoir à la France ?

Comment, quand, dans quelle organisation allons-nous permettre au pays de sortir de son face-à-face sidéré avec la droite la plus conservatrice que nous ayons connue depuis longtemps, avec M. Chirac, miraculé de l'élection présidentielle et dopé à la guerre américaine.

Ma conviction est qu'il nous faudra d'abord revenir sur le terrain des idées que nous avons trop abandonné. La gauche a certes appris à gérer, c'est un acquis, mais elle ne peut, sauf à renier l'essentiel, se limiter à la gestion considérée comme l'inventaire des contraintes indépassables. Il est dans sa fonction historique et de son devoir civique d'inventer l'avenir.

Et nous avons à dire ce qu'est une gauche moderne, fidèle à elle-même, qui pourrait être une gauche dont le réformisme ne serait pas un simple compromis économique et le réalisme une pauvre résignation sociale.

Quelle place en France et en Europe pour les services publics, et au premier rang pour l'école publique ? Quelle décentralisation qui laisserait destiner les libertés locales sans compromettre l'égalité et la solidarité de l'État ?

Quelles marges d'action pour le volontarisme économique, pour une fiscalité de justice, pour une vraie politique budgétaire ?

Quelles réponses autres que l'angélisme dogmatique ou les surenchères sécuritaires aux questions que la violence pose à notre société ?

Comment dépasser surtout la contradiction mise sous nos yeux entre un individualisme jamais atteint et une exigence de solidarité toujours plus pressante ? Comment être digne, en résumé, de l'attente de ceux qui croient encore à la gauche et qui la pressent d'élaborer une véritable alternative politique, économique, sociale et culturelle plutôt que de préparer une simple alternance électorale ?

La gauche de nos partis peut-elle répondre à cette attente de la gauche de nos pays ? Elle le peut si elle privilégie ce travail de modernisation de nos idées. Il existe dans nos philosophies politiques respectives des réponses déjà prêtes aux questions que je viens d'énumérer, des réponses radicales, des solutions socialistes, des choix communistes, des options écologistes. Laissons là nos dogmes. Il faut inventer, et pardonnez--moi, je vais dire un mot qui semble désormais presque honteux : nous manquons d'idéologie, c'est par le travail idéologique que nous inventerons la gauche du XXIe siècle.

Alors, pour en terminer, dans quel cadre allons-nous conduire ce travail ? Les radicaux ont été les premiers à proposer que les forces de progrès se rassemblent dans une vaste formation qui s'appellerait tout simplement la Gauche. Ils ont eu la satisfaction d'entendre quelques dirigeants dans notre camp reprendre cette proposition. Nous ne serons jamais trop nombreux pour défendre une bonne idée. Ils ont aussi noté que les formations concernées, Parti socialiste, communiste et Verts ont été moins pressés. La question du rassemblement de la gauche ne serait pas mûre. J'entends bien les objections et je veux vous dire à tous qu'il s'agit de l'attachement de nos militants à nos organisations respectives. S'il s'agit de partis, les radicaux sont aussi attachés à leur indépendance.

Et je rappelle aussi, à vous Parti socialiste, que du consentement même de leurs partenaires vous constituez la force pivot au cours de laquelle se construira ce rassemblement et que vous portez donc une responsabilité particulière ; et j'aurais d'ailleurs aimé trouver des propositions dans vos différentes motions. Heureusement, j'ai bien écouté les propositions de Daniel Vaillant et je me suis inspiré, en toute modestie, des leçons de François Mitterrand qui disait qu'il faut d'abord rassemble sa propre famille avant de partir à la conquête de l'opinion.

Nous pourrons donc, pour ce rassemblement, agir en trois phases. Demain pourra s'ouvrir la phase confédérale que nous avons déjà connue par le passé, mais qui sera plus qu'un simple contact électoral qui n'aurait pas de crédibilité.

Réapprenons à réfléchir en travaillant ensemble. Rapidement devra s'engager la phase fédérale qui ménagerait l'existence de nos organisations, mais qui réaliserait leur plus grande intégration de façon que jamais ne réapparaissent les querelles suicidaires qui nous ont opposés en 2001 et 2002.

Ensuite, et ensuite seulement, si les votes de nos concitoyens ratifient ce nouveau travail pour le programme d'une gauche novatrice et pour le rapprochement de ces partis fondateurs, nous pourrons envisager plus loin, conforter nos idées, additionner nos forces, unir nos espoirs dans un grand parti enfin adapté à notre époque, le parti de la gauche.

Mes amis, nous avons ensemble une longue et belle histoire commune faite d'espérances partagées, de belles victoires enthousiasmantes, d'échecs assumés. Et de cette utopie, toujours réalimentée, oui on peut changer la vie, les radicaux y sont prêts, beaucoup de nos concitoyens le souhaitent nous vous attendons. Et je donne donc, au nom des radicaux, mon accord aux propositions de Daniel Vaillant pour la mise en place rapide d'une délégation permanente au parti de gauche, ce sera un bon début mais je nous rappelle qu'il faudra, pour remporter les victoires que nous attendons et qu'attendent les Français, aller plus loin dans cette direction.





Cet article vient de Union des Radicaux Républicains, Cercle MENDÈS FRANCE
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