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 Politique nationale : Lionel STOLERU: Les plongeons rentrés
        Posted by benoit on 25/9/2003 18:37:59 (1240 reads)
Racontant, dans La Chute, l'histoire d'un homme pris de remords après avoir fait semblant de ne pas voir un homme se suicider en se jetant dans un fleuve, Albert Camus écrit : "Les plongeons rentrés laissent parfois d'étranges courbatures."

Tel est l'état de la France en cette rentrée 2003 : les revendications refoulées du printemps annoncent d'étranges courbatures pour l'automne.

Le mécontentement des agriculteurs, l'insatisfaction des fonctionnaires sur les retraites, la grogne des enseignants contre la décentralisation, les manifestations des intermittents du monde culturel, la catastrophe de la canicule, toute cette succession de conflits étouffés et d'événements cruels laisse un goût amer dans le corps social français. Le gouvernement aurait tort de se réjouir de les avoir désamorcés les uns après les autres : sous la cendre, le feu continue à couver.

Et pourtant, il n'y a pas eu que des maladresses dans l'action gouvernementale. Le dossier des retraites, par exemple, a été remarquablement piloté par François Fillon : capitalisant l'acquis de douze années de réflexion depuis le Livre blanc de Michel Rocard, emmenant les syndicats avec lui dans tous les pays d'Europe pour s'informer des solutions retenues, faisant preuve d'une infinie patience aussi bien auprès des syndicats qu'au Parlement, il parvint à une solution acceptable par les syndicats réformistes et que la gauche, comme l'ont écrit certains de ses responsables, n'aurait pas reniée si elle avait été au pouvoir.

Cependant, cette réforme est perçue moins comme un succès politique que comme un échec social : la France d'en haut a, par sa majorité, imposé à la France d'en bas un système dont elle ne voulait et ne veut toujours pas.

Si l'on y réfléchit d'un peu plus près, on y trouve le symétrique parfait de la réforme des 35 heures. Là aussi, le dossier traînait depuis quinze ans. Là aussi, on avait dit que le problème devait se régler par la concertation en invitant les partenaires sociaux à négocier la durée du travail. Là aussi, les années se suivaient sans que rien se passât. Là aussi, le gouvernement avait fini par légiférer après une concertation sans résultat. Là aussi, la réforme n'était pas aussi mauvaise qu'on le dit : outre la nouvelle dimension qu'elle donna aux loisirs, elle fit baisser le chômage de près de 500 000 personnes, ce qu'aucun gouvernement n'avait été capable de faire, ni avant ni après. Elle n'en demeure pas moins une réforme non digérée par le corps social.

Et l'on pourrait multiplier ces exemples : éducation, agriculture, justice... Alors, alors ?

Alors le chef de l'Etat exhorte le 14 juillet au "dialogue social" et c'est là qu'à mon avis il fait fausse route. Le dialogue social existe en France, et il ne s'y porte pas plus mal qu'ailleurs. La France n'a pas besoin de dialogue social, elle a besoin de brassage social. La France d'en bas n'a pas besoin de parler à la France d'en haut, elle a besoin d'y trouver sa place, d'y prendre place. Quel ascenseur social l'y amènera ?

Alors, on se replie sur soi, on se réfugie dans le corporatisme. Chacun défend ses intérêts catégoriels, non seulement sans prendre en compte ceux des autres, mais souvent même en les compromettant. Les fonctionnaires, dont l'emploi est garanti, menacent, par leurs grèves des trains, des postes ou autres services publics, la survie des entreprises privées : on fait grève avec l'emploi des autres ! Chacun prend autrui en otage pour attirer les caméras de télévision qui obligeront le pouvoir à s'intéresser à lui.

Bref, ce qui est en cause, ce n'est pas le dialogue social, c'est, chose beaucoup plus grave : le lien social, cette relation d'appartenance à une communauté. Cet été, les personnes âgées sont mortes autant de la solitude que de la canicule. Le problème n'est pas de faire dialoguer
les Français avec le gouvernement, il est de faire dialoguer les Français entre eux, de faire sauter les cloisonnements, de créer une écoute mutuelle, une rencontre, enfin une rencontre !

Je prends un exemple personnel. A la demande du maire de Paris, Bertrand Delanoë, j'ai créé et préside auprès de lui le Codev, (Conseil du développement économique durable de Paris), formé de 35 personnalités importantes du secteur privé, apolitiques, chargées de proposer au maire des actions pour stimuler le développement de la Ville. Nous choisissons un ou deux sujets par semestre, et nous organisons une série de rencontres avec les responsables privés du secteur concerné. En bon technocrate sachant que thèse et antithèse sont les mamelles de l'administration française, je note tous les avis et nous en rendons compte fidèlement au maire, qui décide en dernier ressort. C'est du dialogue social.

Or, quelle n'a été notre surprise lorsque nous nous sommes aperçus que l'intérêt de ce travail résidait au moins autant dans chacune de ces rencontres que dans les propositions qui en résultaient ! Les différents acteurs que nous réunissions ne se connaissaient pas et découvraient avec intérêt ce que faisaient les autres. Au fur et à mesure se créait une envie de "faire ensemble", de développer des réseaux, des échanges, de partager un objectif commun. En d'autres termes, nous voyons se transformer en Parisiens des personnes qui n'étaient que des habitants de Paris : une démarche citoyenne se crée, d'une inestimable valeur.

Voilà ce qu'il faut faire d'urgence au niveau national. Comment ?

Tout d'abord en remettant en marche l'ascenseur social. Tant qu'un jeune des banlieues d'une ZEP n'a aucune chance d'entrer dans les grandes écoles, comme l'a montré le rapport Attali, ni de réussir à l'Université, tout discours est inutile. La discrimination positive, telle que celle créée à Sciences-Po, est indispensable dans l'immédiat, aussi longtemps que le problème n'aura pas été réglé en profondeur : il n'y a pas de brassage social quand il n'y a pas égalité des chances.

Il faut aussi recréer du lien social, en remaillant le tissu social déchiré de partout. Par-delà le rapport commandé à Christine Boutin, cette oeuvre de longue haleine devrait être confiée au Plan, aujourd'hui oublié alors qu'il devrait, en prise directe avec le premier ministre, concevoir et piloter, avec le réseau associatif, cette action essentielle. Il ne sera pas facile de raccommoder les Français avec eux-mêmes, mais y a-t-il plus noble mission, plus "ardente obligation" pour un pouvoir politique digne de ce nom ? La nation, disait Renan, c'est le désir de vivre ensemble. Au moment où elle s'élargit à l'Europe, il n'est que temps de donner vie à cette définition. La démagogie catégorielle tue la démocratie.

Autant dire que, dans ce contexte, en particulier après les carences de moyens des urgences à l'hôpital, l'idée d'entamer maintenant la réforme de la Sécurité sociale est une pure folie et un pur suicide politique. Si l'on veut ajouter le corps médical à tous les corps sociaux déjà en colère, si l'on veut faire de Marc Blondel à la tête d'une grève générale un héros public auprès duquel José Bové fera figure d'enfant de choeur, alors, allons-y gaiement ! Les Français ont voté pour plus de sécurité : plus de sécurité physique, certes, mais aussi plus de sécurité sociale. Il est impossible d'aller à contre-courant de cette volonté-là.

En outre, je suis persuadé que nos concitoyens n'ont pas compris que notre système actuel de remboursement des soins est condamné.

L'explication est pourtant simple. Si le général de Gaulle, dans sa sagesse, avait jugé au lendemain de la guerre que le besoin essentiel des Français était de se nourrir et qu'il avait créé une Sécurité sociale qui rembourse à chaque famille non ses frais de santé, mais ses frais d'alimentation (après tout, à quoi sert de se soigner si l'on n'a pas de quoi manger ?), eh bien, nous aurions aujourd'hui une Sécurité sociale financièrement florissante car, depuis cinquante ans, la part des dépenses d'alimentation dans les budgets familiaux ne fait que décroître.

Quelles sont, au contraire, les dépenses dont la part ne fait qu'augmenter depuis cinquante ans ? Les loisirs et la santé. Sachant que les recettes de l'Etat croissent au rythme du revenu national et que les dépenses de santé croissent 50 % plus vite que le revenu national, il est donc totalement impossible d'équilibrer durablement l'actuelle Sécurité sociale. La seule solution est de limiter la croissance des remboursements publics à la croissance nationale et de laisser les mutuelles et les ménages payer le reste (en croissance forte). A vrai dire, il n'y a pas besoin de dialogue social pour trouver cela, car il n'existe aucune autre solution.

On voit bien qu'une telle réforme est totalement impraticable aujourd'hui. Non seulement on n'a jamais expliqué ces mécanismes, mais on a au contraire endormi les Français dans l'idée que quelques rafistolages périodiques et des "économies de gestion" suffiraient à rééquilibrer le système, bien que l'expérience ait amplement démontré le contraire.

Si le gouvernement veut vraiment sauver la Sécurité sociale, unanimement appréciée par les Français, il serait donc bien inspiré d'abandonner toute idée de réforme immédiate, quitte à continuer à bricoler quelques remèdes financiers, et de lancer un profond débat national sur le partage national des dépenses de santé entre un Etat qui a un rôle majeur de solidarité, notamment envers les plus démunis, et les citoyens, qui, directement ou à travers leurs mutuelles, doivent aussi assurer une part de responsabilité de leur santé. Ce dossier, à instruire de 2003 à 2007, devrait alors devenir un des thèmes politiques centraux de la campagne présidentielle de 2007. Pour la préparer, il convient de s'inspirer de l'exemple de l'Allemagne, où la récente réforme n'a été possible que grâce à un accord entre la majorité et l'opposition. La réforme devrait donc être conçue dans les instances françaises ouvertes à tous les partis (commissions des affaires sociales de l'assemblée nationale et du Sénat, Conseil économique et social, Plan et Conseil d'analyse économique, sous l'impulsion d'un chargé de mission auprès du premier ministre.

Dans ce contexte de frustrations sociales, que l'on ne s'étonne pas de l'atonie économique que vient de confirmer la baisse du PIB au second semestre 2003. On peut, bien entendu, espérer une reprise qui nous viendrait de l'extérieur, des Etats-Unis ou de l'Europe. Cela ne paraît pas très probable dans les prochains mois. Imaginer dès lors que, en France, les entreprises vont investir, les ménages consommer et les hommes entreprendre, relève de la méthode Coué. Demander à la Banque centrale européenne de baisser encore les taux d'intérêt est inutile. L'argent y est, mais le coeur n'y est pas.

Pendant les six premiers mois qui ont suivi l'élection présidentielle, la France a été contente de son gouvernement : il disait ce qu'il allait faire, il faisait ce qu'il disait. Cela aurait pu continuer, mais, pas plus qu'on ne sait pourquoi il arrive à la mayonnaise de tourner, le vent a tourné dans les six mois suivants, le consensus s'est brisé et le gouvernement a assisté, impuissant, à la montée de vagues successives de colère aujourd'hui muées en frustrations. Il a grand besoin, en cette rentrée, de prendre une initiative de rassemblement et de redynamisation d'un corps social français désabusé et démotivé.

On dit souvent que la rentrée va être chaude. Plaise au ciel qu'elle le soit ! Il y a pire qu'une rentrée chaude, c'est une rentrée tiède, morne, flasque, résignée.

Il y a trente-cinq ans, le journaliste Pierre Viansson-Ponté publiait dans ces colonnes, à la veille de Mai 1968, un article resté célèbre : "La France s'ennuie". Aujourd'hui, il titrerait sans doute : "La France s'enlise".

Lionel Stoleru, ancien secrétaire d'Etat, est membre du Conseil économique et social. Il est par ailleurs Secrétaire National chargé de l'économie au Parti Radical de Gauche.
 
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